Le pape remplace-t-il Hugo Chavez ?
Global Research, avril 19, 2013
Dans un article intitulé Vaticano, revolucion y contrarevolucion en America Latina, et publié sur le portail internet, America XXI,
l’écrivain et éditeur vénézuélien, Luis Bilbao, affirme qu’il y a
beaucoup de symboles et bien peu de hasard entre la mort d’Hugo Chavez
et, cinq jours plus tard, le remplacement du pape par l’Argentin, Jorge
Bergoglio, ex-militant de l’organisation péroniste d’extrême-droite, Guardia de hierro (Garde de fer).
La grave crise économique du capitalisme, dit-il, et son
autre face, l’avancée de la révolution, obligent le Vatican à se
défaire de l’extrême-droite représentée, depuis 1978, par l’Opus Dei et
les papes Karol Wojtyla (Jean-Paul II) et Joseph Ratzinger (Benoît XVI)
comme l’ont fait les États-Unis avec les Républicains.
Les peuples sont de nouveau forcés à l’austérité et à la
pauvreté et c’est, pour l’instant, la stratégie de la « main amie » qui
prévaut. Celle-ci a porté Barack Obama au pouvoir, à Washington, et,
tout récemment, désignait, à Rome, un pape issu de l’ordre des Jésuites (rival de l’Opus Dei) et se réclamant de François d’Assise et de « l’église des pauvres pour les pauvres ».
À la crise économique mondiale, s’ajoute, pour l’Église
catholique, la non moins grave et mondiale crise qu’elle traverse: perte
de fidèles, corruption et gaspillage dans la haute-hiérarchie, déficit
astronomique, accusations de pédophilie, blocage sur des questions comme
celles du mariage des prêtres, de l’avortement et de l’homosexualité,
etc.
Tout cela est plus que suffisant pour remplacer le pape,
un fait similaire à celui de 1978 quand, un mois seulement après sa
désignation, le pape Jean-Paul Ier avait été trouvé mort dans sa chambre
et remplacé par le polonais Wojtyla.
Quatre ans plus tard, celui-ci libérait l’Opus Dei de
toute sujétion territoriale la rendant redevable au seul pape, en même
temps qu’il suspendait l’ordre des Jésuites et en remplaçait le
supérieur général, Pedro Arrupe.
Pour Bilbao, auteur, en 1989, d’un livre intitulé CIA-Vaticano: associacion ilicita,
Washington a été le protagoniste des changements de 1978 et de 2013. En
1978, dit-il, les cibles visées étaient l’Europe de l’Est (à partir de
la Pologne) et l’Amérique latine (plus particulièrement le mauvais
exemple nicaraguayen et l’influence de la théologie de la libération).
Quelques années plus tard, les régimes d’Europe de l’Est
tombaient les uns après les autres, la révolution sandiniste
s’écroulait dans le feu et le sang, les adeptes jésuites de la théologie
de la libération étaient éliminés et l’URSS démantelée.
En 2013, l’Amérique latine est devenue l’épicentre de la
révolution mondiale, se permettant même de ressortir le socialisme des
boules à mites. De plus, dans ce principal bastion catholique du monde,
le Vatican a perdu le quart de ses fidèles au cours des trente dernières
années.
D’où le choix d’un pape latino-américain qui a déjà
commencé à flatter la « nouvelle Amérique latine » et qui, nous dit
Bilbao, n’hésitera pas à se « déguiser en Chavez » pour mieux remplir la
mission conjointe CIA-Vatican d’en finir avec la révolution au sud du
Rio Bravo.
L’Argentine, elle, est choisie pour sa faiblesse; parce
qu’elle apparaît comme le pays important le plus susceptible d’être
décroché du bloc progressiste latino-américain à court terme.
L’un des premier pays de ce bloc à être frappé
sérieusement par les effets de la crise mondiale, l’Argentine paraît
vivre la fin du cycle des Kirchner, alors qu’une ample coalition
électorale regroupée autour de la stratégie latino-américaine
états-unienne est en voie de se former pour 2015.
La tactique consiste à affaiblir les appuis régionaux du
Venezuela parce que ce pays est l’avant-garde de l’avant-garde
révolutionnaire latino-américaine.
Cette tactique semble prometteuse, nous dit l’avocat et journaliste pour le Réseau latino-américain sur la dette, le développement et les droits (Latindadd), Carlos Alonso Bedoya, pour qui la seconde décade du 21e siècle
se caractérise déjà par le gel des processus de rupture de l’hégémonie
néo-libérale et d’intégration politique et financière de la région
pourtant lancés avec force, il y a une dizaine d’années.
Bedoya situe le point d’inflexion en 2011, quand les
États-Unis, aidés de la droite et des Forces armées péruviennes, sont
parvenus à arracher le Pérou du nouveau président, Ollanta Humala, à
l’influence brésilienne.
Jusque là, explique-t-il, une solide alliance semblait
unir Humala, alors candidat à la présidence, et le gouvernement
brésilien de Dilma Roussef. Les programmes sociaux, la coopération
militaire, les centrales hydroélectriques et un gazoduc traversant le
sud du Pérou semblaient aller bien au-delà d’une relation bilatérale
normale entre deux pays. Elles renforçaient l’Unasur en lui ouvrant pour la première fois une façade sur l’océan Pacifique.
Mais Humala s’est révélé très loin d’être un second Hugo Chavez, comme le qualifiaient pourtant ses adversaires de la droite.
Les programmes sociaux sont passés à la Banque mondiale au
lieu de la BNDS brésilienne, la coopération militaire est morte quand
Humala a choisi les avions KT1 de la Corée du Sud au lieu des Super Tucano du Brésil, les projets hydroélectriques sont restés en plan, tandis que les firmes brésiliennes Odebrecht et Petrobras ont été écartées de la construction de l’oléoduc gazier et de l’exploration pétrolière de Camisea.
La présidente brésilienne a réagi en boudant le 6e Sommet des chefs d’État de l’Unasur,
à Lima, à la fin du mois de novembre 2012. Trois autres présidents,
parmi les plus enthousiastes promoteurs de l’intégration
latino-américaine, manquaient aussi à l’appel : Evo Morales (Bolivie),
Cristina Fernandez (Argentine) et Hugo Chavez (Venezuela), ce dernier
étant malade.
Pendant que des dossiers aussi importants que la Banque du Sud,
la demande bolivienne d’accès à la mer, le conseil de défense régional
et la monnaie sud-américaine piétinent, ajoute Bedoya, l’Alliance du Pacifique,
formée des pays alliés aux États-Unis, fonce à toute allure, de sorte
que la région est maintenant littéralement séparée en deux.
La République Dominicaine s’apprête à devenir le
cinquième membre de l’Alliance qui comprend déjà le Mexique, le Chili,
la Colombie et le Pérou. Cinq autres pays en sont des membres
observateurs : le Costa-Rica, le Panama et le Guatemala, en Amérique
centrale, mais aussi le Paraguay et l’Uruguay, deux membres du Mercosur!
Presque tous ces pays ont des traités de libre-échange
entre eux et avec les États-Unis, abritent des bases militaires
états-uniennes ou permettent aux militaires états-uniens d’opérer sur
leur territoire contre le crime organisé et le trafic de drogue, mènent
des exercices militaires conjoints avec les États-Unis et, dans le cas
du Mexique et du Chili, sont membres de l’OCDE.
Une zone de libre-échange existe aujourd’hui de l’Alaska
à la Patagonie chilienne du côté de l’Océan Pacifique (avec la seule
exception de l’Équateur) et rappelle de plus en plus la supposée défunte
ZLÉA. Cela, pour le cubain Guillermo Andrés Alpizar, du Centre d’investigation et d’économie mondiale, est une possible blessure mortelle pour l’intégration sud-américaine.
Dans ce contexte, l’asphyxiante accolade papale à
l’Argentine vient ajouter sa part de confusion dans une région de moins
en moins ouverte à l’idée brésilienne d’une Amérique latine intégrée et
parlant d’une voix forte dans le monde multipolaire et en pleine
reconfiguration d’aujourd’hui.
André Maltais