Le Sinaï : Base américaine ?
Mondialisation.ca, août 21, 2013
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Les discussions vont
bon train dans les centres d’études US, les séminaires et ateliers sur
le Sinaï et son importance stratégique. Certains chercheurs en arrivent à
deux équations possibles qui se résumeraient à dire que la sécurité
d’Israël dépend du Sinaï non du Golan syrien, et que la sécurité des
gazoducs et oléoducs dépend du SinaÏ non de Homs en Syrie. D’autres
planchent sur l’importance stratégique comparée entre Al-Qusayr en Syrie
et le Sinaï en Égypte et, tenant compte des frontières terrestres et
maritimes des deux pays, en arrivent à dire que le Sinaï est
stratégiquement plus important que la Syrie.
Habituellement, une telle focalisation des centres de
recherche sur un sujet donné n’est pas sans finalité et ne consiste pas
à se contenter d’échanger les points de vue, réagir, ou exagérer un
événement sécuritaire ou politique ; d’autant plus que les organisateurs
de ces workshops sont aussi les décideurs en la matière.
Les diverses études ainsi menées donnent pléthore
d’informations importantes sur le Sinaï, l’accent étant particulièrement
porté sur sa géographie offrant à la fois des zones côtières, des zones
montagneuses, et de vastes zones désertiques vides de population
répondant, par conséquent, aux conditions requises par le Pentagone pour
l’établissement de bases militaires fixes.
En effet, un demi-million d’habitants répartis sur 60
000 kilomètres font que la superficie de cette région est trente fois
supérieure à celle de Gaza alors que son peuplement est quatre fois
inférieur. Autrement dit, le Sinaï est cent vingt fois moins densément
peuplé que Gaza alors que sa superficie est égale à trois fois celle de
toute la Palestine, à six fois celle du Liban ou des territoires occupés
en 1967 et en 1948.
Par ailleurs, le Sinaï est traversé de gazoducs,
actuellement en service, transportant le gaz égyptien vers la Jordanie
via la Palestine et pourrait recevoir les gazoducs partant des Pays du
Golfe vers la Méditerranée.
Géographiquement, le Sinaï tient les deux rives du
golfe d’Aqaba faisant face au tiers de la côte saoudienne sur la mer
Rouge et au détroit de Bab el Mandeb, débouché maritime des pays du
Golfe vers les côtes du Yémen, de la Somalie, du Soudan, de l’Érythrée
et de l’Éthiopie. Adjacent à l’une des deux rives du Canal de Suez, il
tient aussi la Méditerranée, s’ouvre en profondeur sur l’Egypte par
terre et par mer, et côtoie la Jordanie, Gaza et le Néguev. Autant
d’atouts pour servir de base à des porte-avions, des missiles de
croisière Cruise, des antimissiles Patriot, des stations de radars
géants, des stations d’écoute et de communications par satellites, et
aussi de base pour des forces terrestres états-uniennes qui pourraient
atteindre les cent milles soldats avec la garantie de toujours rester
complètement à l’écart de la population locale.
D’autres études se sont concentrées sur l’Histoire en
remontant jusqu’à Abraham pour dire que le Sinaï est le berceau des
civilisations et des religions. S’appuyant, entre autres, sur l’ouvrage
de Kamal Salibi, elles rappellent que la Torah est née de la péninsule
arabique et que les premiers fidèles du judaïsme, du christianisme et de
l’islam y ont évolué, sans oublier la dynastie monothéiste des Hyxos
qui les a précédés et a gouverné l’Égypte et les Bilad al-Cham [les Pays
du Levant].
Il est improbable que ces études soient l’objet d’un
tel regain d’intérêt au moment même où les équations régionales
calculées et imposées par les États-Unis risquent de s’inverser vu la
très rapide évolution de la situation égyptienne et le non effondrement
de M. Bachar al-Assad et des piliers des institutions syriennes. Non,
ces études remises à l’ordre du jour ne peuvent être fortuites, d’autant
plus que les États-Unis sont sur le point d’adopter une nouvelle
équation fondée sur moins de dispersion de leurs forces et un repli
stratégique vers une nouvelle base plus lourde axée sur l’Asie et
l’Afrique, avant de s’aventurer par un redéploiement sur les mers et
océans.
En revanche il est plus que probable que les Services
de sécurité et la politique des USA vont désormais concentrer leurs
efforts sur le Sinaï. Cela pourra prendre des mois et même des années au
cours desquelles ils testeront plusieurs options. Parmi ces options,
transformer cette zone en refuge pour les différents réseaux d’Al-Qaïda
sur lesquels les drones US pourraient continuer leur besogne, ou la
transformer en refuge pour les Frères Musulmans ; lesquels, forts de
leur continuité géographique avec leurs autres Frères à Gaza leur
permettraient de lancer une guerre ouverte contre le chaos dans toute
l’Égypte. Une autre option plus facilement réalisable serait d’exploiter
toutes ces entrées ouvertes au chaos dont des opérations fabriquées
prétendument menaçantes pour Israël, notamment pour Eilat si proche,
pour justifier leur mainmise directe sur le Sinaï au moyen de bases
militaires gigantesques qui deviendraient le plus important porte avion
US du monde.
Cette mainmise des États-Unis sur le Sinaï semble
être devenue l’objectif stratégique du moment. À partir de là, il sera
possible de compenser la perte des richesses pétrolières et gazières due
à leur échec en Syrie. À partir de là, la sécurité d’Israël sera sous
leur garde directe ainsi que celle de l’Asie, de l’Afrique et des pays
du Golfe qui ne pourra pas échapper à leur vigilance. Ainsi, les
États-Unis pourront dire qu’ils sont redéployés mais non vaincus !
Les yeux US sont braqués sur le Sinaï. Faisons-en
autant, surtout les Égyptiens et leur Armée, maintenant que la mainmise
sur le Sinaï risque de menacer la souveraineté de L’Égypte, laquelle
souveraineté exige de se libérer des contraintes unilatérales imposées
par « les accords de Camp David ».
Nasser Kandil13/08/2013
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Article original : Top News
http://www.topnews-nasserkandil.com/topnews/share.php ?art_id=2106
Nasser Kandil est libanais, ancien député et directeur de Top News-nasser-kandil