22 juillet 2010
La valise diplomatique
Kirghizstan, des menaces sur la stabilité de l'Asie centrale
par Vicken Cheterian
Les affrontements qui ont mis le sud du Kirghizstan à feu et à sang au mois de juin marquent une nouvelle escalade dans la crise politique et sociale majeure qui secoue le pays. A l'heure où l'Afghanistan s'enfonce dans la guerre, et alors que la répression anti-Ouzbeks s'amplifie dangeureusement, ces événements éveillent aussi la crainte d'un conflit interethnique qui pourrait s'étendre en Asie centrale.
En avril 2010, le mouvement populaire qui avait pris naissance à Talas, dans le nord, quelques jours plus tôt, s'était propagé à Bichkek, la capitale, contraignant le président Kurmanbek Bakiev à fuir le pays. Les confrontations entre les forces de l'ordre et des manifestants excédés par la hausse des prix de l'énergie, et par la corruption endémique, avaient fait 84 morts, et des milliers de blessés. A la mi-mai, retranchés dans leur fief de Djalalabad dans le sud, quelques centaines de partisans du président déchu avaient réussi pour quelques heures à prendre le contrôle de l'administration locale avant d'être délogés par des contre-manifestants. Ces derniers, en majorité ouzbeks, étaient soutenus par M. Kadirjan Batirov, un puissant homme d'affaires de la région, ancien parlementaire et propriétaire de l'université de l'amitié du peuple à Djalalabad. Les émeutiers avaient ensuite saccagé et brûlé les maisons de la famille Bakiev. Les échauffourées avaient f ait deux morts et de nombreux blessés.
Le 10 juin, Och, la deuxième ville du pays, devenait le théâtre de pogroms anti-Ouzbeks. Il aura suffi d'un incident mineur, une simple bagarre entre groupes de jeunes, pour que les rivalités politiques se transforment en un conflit interethnique, faisant 2 000 morts (chiffres non officiels) et provoquant la fuite de 300 000 Ouzbeks, dont 85 000 seraient réfugiés en Ouzbékistan. Le renversement du président Bakiev paraît être le point de rupture du fragile équilibre qui existait jusqu'alors entre les communautés kirghizes et ouzbeks au sud du pays.
Il n'est pas certain que le retour des réfugiés et les résultats du référendum constitutionnel du 27 juin suffisent à apaiser les tensions. Les récits divergents des événements illustrent la profondeur du clivage entre les deux communautés. Les déclarations des autorités kirghizes apparaissent confuses et contradictoires, celles-ci ne reconnaissant que 275 morts, et accusant tantôt l'entourage de l'ancien président Bakiev, tantôt des mercenaires étrangers à la solde de l'ancien régime, d'être à l'origine des exactions. La version officielle définitive, présentée par le chef des services de sécurité kirghizes, M. Keneshbeck Dushebaev maintient que M. Maxim Bakiev, le fils de l'ancien président (arrêté par la police au Royaume-Uni le 13 juin), a eu recours aux services d'activistes associés au mouvement taliban et à Al-Qaida, le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (IMU), dans le but de déstabiliser le gouvernement provisoire. Dans la population kirghi ze, de nombreuses voix rappellent que les Ouzbeks vivent bien au Kirghizstan, y sont économiquement prospères ; bref, qu'ils n'auraient aucune raison de se plaindre : les deux peuples sont frères et les heures sombres appartiennent au passé.
Les Ouzbeks ont une tout autre version des faits. Ils rejettent les accusations selon lesquelles des extrémistes ouzbeks seraient responsables des massacres et se perçoivent comme les premières victimes des violences du mois de juin. Revenus dans leurs quartiers de Och ou dans leurs villages des alentours, ils demeurent traumatisés. Ils se sentent victimes non seulement des bandes qui les ont attaqués, mais aussi de la police et des militaires kirghizes qui se sont joint aux émeutiers et ont ouvert le feu. Pour eux, il ne saurait être question de pardon tant que justice ne sera pas rendue.
Lire la suite de cet article inédit de Vicken Cheterian :