Roberto Abraham Scaruffi: La guerre de Libye, une «cause juste»? Partie I: Désinformation, censure et partilité médiatiques

Friday, 30 September 2011

La guerre de Libye, une «cause juste»? Partie I: Désinformation, censure et partilité médiatiques



La guerre de Libye, une «cause juste»?
Partie I: Désinformation, 
censure et partilité médiatiques
Le 29 septembre 2011

Très peu de temps après être entré en fonction, [Ronald] Reagan a annoncé la création d’un groupe spécial pour étudier « le problème libyen » […] Un plan a rapidement été rédigé par la CIA, lequel a été révélé par Newsweek en août 1981 : « un stratagème coûteux, de grande envergure et en plusieurs étapes pour renverser le régime libyen » et obtenir ce que la CIA appelait la déposition « absolue » de Kadhafi. Le plan réclamait un programme de « désinformation » destiné à embarrasser Kadhafi et son gouvernement; la création d’un « contre-gouvernement » pour contester sa prétention au leadership national; ainsi qu’une campagne paramilitaire progressive constituée d’opérations de guérilla à petite échelle. (William Blum, Killing Hope, Common Courage Press, 2004, p.283.)
Campagne de désinformation, création d’un contre-gouvernement et campagne paramilitaire comportant des opérations de guérilla, ces trois étapes élaborées en 1981 par la CIA pour renverser le régime libyen ont bien été mises en œuvre en 2011. Drapée dans de faux idéaux « d’intervention humanitaire », une guerre d’agression menée par les forces de l’OTAN a dévasté un pays entier et anéanti tous ses progrès.

Bien qu’archaïque et utilisé presque systématiquement contre les régimes résistant aux intérêts occidentaux, ce modus operandi en trois étapes continue de faire ses preuves dans le cas de la Libye, surtout grâce à la complicité des grands médias. Ce stratagème s’accompagne de censure et de diffamation envers ceux qui condamnent l’opération « Unified Protector » de l’OTAN, vouée, selon son nom, à « protéger les civils libyens ». 

Les médias dominants sont ou complètement aveugles et dans l’ignorance totale ou ils participent volontairement à cette opération occidentale clandestine vouée à installer des dirigeants serviles. Quoi qu’il en soit, ils font de la propagande de guerre, ce qui constitue une violation du droit international. 

Désinformation, censure et partialité

Les médias ont d’abord affirmé sans le démontrer que Kadhafi avait réprimé dans le sang des manifestations pacifiques et qu’il s’apprêtait à massacrer une population sans défense réclamant la démocratie. En réalité, le gouvernement libyen faisait face à une rébellion armée, soutenue clandestinement par les services de renseignement occidentaux, un fait amplement documenté dans les médias indépendants.

En utilisant une technique traditionnelle de diabolisation, les médias ont nourri le mensonge en s’appuyant sur le caractère farfelu du dirigeant libyen. Les médias dominants ont propagé l’idée suivante : « Kadhafi est un fou sanguinaire, il doit être renversé ». L’exemple suivant est tiré d’un article du 2 avril dénonçant le biais des médias en faveur de la rébellion.

La plupart des tyrans trouvent des prétextes nobles pour massacrer ceux qui les contestent. Kadhafi, lui, affirme sans la moindre gêne son intention de déclencher un carnage illimité. À ses yeux, aucun prix n'est trop élevé pour se maintenir au pouvoir. (Agnès Gruda, Le devoir de protéger, Cyberpresse, 5 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)

Les faits concernant la Libye ont été complètement substitués par la désinformation et les attaques ad hominem. La Libye, avant les bombardements de l’OTAN, avait l’indice de développement humain le plus élevé d’Afrique. Elle se classait au 56e rang, devant l’Arabie Saoudite (60), la Russie (71), le Brésil (75) et la Turquie (76).

Au lieu de nous parler de son bilan positif sur le plan des droits humains, louangé par l’ONU, les médias ont martelé que Kadhafi était un monstre qui commettait des crimes contre l’humanité, sans jamais amener de preuves concrètes que son armée s’attaquait à des civils sans défense.

La diabolisation de Mouammar Kadhafi a remplacé les faits pour justifier une intervention militaire en appui à une insurrection armée dite démocratique. « Démocratie » et « insurrection armée » ne sont pas des concepts compatibles. Pourtant l’absurdité du concept « rebelles armés prodémocratiques » n’est jamais soulignée ni questionnée dans les médias dominants. Cela démontre la puissance de la propagande : une affirmation répétée et propagée par les autorités devient vérité en dépit de son illogisme et de sa fausseté.

De plus, dans une absence totale de neutralité, les médias nous présentent la propagande des « rebelles démocrates » comme source d’information fiable et la remettent rarement en question.

Un article du Journal de Montréal, le plus grand quotidien francophone d’Amérique, annonçait le 26 août dernier : « Un autre Canadien a été tué en Libye, a annoncé vendredi le Conseil libyen canadien sur sa page Facebook. » (Kelly Roche, Un Canadien perd la vie en Libye, Journal de Montréal, 26 août 2011.)

D’emblée, on peut se demander : depuis quand Facebook est une source d’information fiable? Ensuite, qu’est-ce que le Conseil libyen canadien?

C’est un fait avéré que les services de renseignement et l’armée des États-Unis utilisent les médias sociaux comme Facebook à des fins de propagande et de surveillance, et il faudrait s’étonner que d’autres pays n’en fassent pas autant.

En février 2011, on révélait que « HBGary Federal [avait] obtenu un contrat du gouvernement étasunien pour développer un logiciel pouvant créer une multitude de faux profils dans les médias sociaux afin de manipuler et d’influencer l’opinion publique sur des sujets controversés en faisant de la propagande ». (Darlene Storm, Army of Fake Social Media Friends to Promote Propaganda, Computer World, 22 février 2011.)

Dans le manuel de l’U.S. Air Force, on trouve un schéma expliquant bien la dynamique entre les médias indépendants, les médias sociaux et les médias de masse, ainsi que l’importante influence des médias sociaux sur l’opinion publique.


 
Un minimum de rigueur journalistique exige des sources fiables et Facebook n’en est pas une. Par ailleurs, en deux clics ont peut constater que le site du Conseil libyen canadien et son compte Facebook ont été mis en ligne en mars 2011, au plus fort de la propagande contre Kadhafi, et qu’ils ne contiennent aucun nom. On ne dit pas qui est à l’origine de ce conseil. Pas de numéro de téléphone, seule une adresse courriel comme coordonnée.

Même anonymat pour son partenaire, l’organisation caritative Canadian Libyans for Relief and Prosperity (Les Libyens canadiens pour l’aide et la prospérité). La section About Us (À propos) demande des informations comme votre nom, votre adresse courriel et votre site web plutôt que de décrire l’organisme et de renseigner sur ses membres.

À la désinformation, aux sources douteuses et à la censure s’ajoute la sympathie notoire des médias envers les opposants de Kadhafi, comme dans ce reportage du Globe and Mail (vidéo ici) :
J’étais dans un hôpital à Misrata et j’ai discuté avec les pauvres gars qui revenaient du front à Zliten, une ville à l’est de Tripoli […] C’était une manœuvre vraiment brillante, frapper Tripoli simultanément à trois endroits, vraiment, à l’est, à l’ouest et de l’intérieur vous voyez, durant le mois du Ramadan, les émotions sont vives […] cela signifie que les portes du paradis sont ouvertes à ceux qui sacrifient leur vie pour une cause noble […] rompre le jeûne […] au moment où le taux de glycémie des troupes de Kadhafi étaient peut-être à son plus bas et qu’elles étaient peut-être somnolentes […] le moment était très bien choisi. (Graeme Smith, The Globe's Graeme Smith on Libya, the Globe and Mail, 22 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)

Mahdi Darius Nazemroaya, correspondant de Mondialisation.ca à Tripoli, et les journalistes indépendants Julien Teil et Mathieu Ozanon, ont fait un reportage à Zliten démontrant la dévastation causée par les bombardements de l’OTAN. Ce bombardement, qui a fait des milliers de victimes civiles, dont un grand nombre étaient des femmes et des enfants, avait pour but d’ouvrir la porte à la « brillante manœuvre » des rebelles glorifiés plus haut par le Globe and Mail.

Les attaques des rebelles et les bombardements de l’OTAN font des victimes civiles, mais elles ne sont jamais dénoncées, voire mentionnées dans les médias mainstream (médias dominants). On ne nous montre pas les femmes et les enfants morts ou blessés par ces bombardements. On ne parle jamais de massacre ou de carnage relativement à ces attaques.
Les rares fois où des exactions des rebelles sont signalées, elles font tout au plus l’objet de critiques anodines, d’avertissements timides quant aux conséquences néfastes sur la crédibilité du Conseil national de transition représentant les rebelles. Lorsque des cadavres aux mains ligotées ont été retrouvés, laissant très peu de doute quant aux auteurs de ces exécutions sommaires, on disait qu’il était « impossible » de savoir qui les avaient assassinés :

TRIPOLI, Libye (AP) — Les corps sont éparpillés sur un espace vert près de Bab al-Aziziya, complexe de Mouammar Kadhafi, allongés face contre terre comme s’ils faisaient une sieste, étalés dans des tentes. Certains ont les poignets liés par des attaches en plastique.

L’identité des morts est incertaine, mais selon toute probabilité, ce sont des activistes ayant improvisé un village de tente en solidarité avec Kadhafi à l’extérieur de son complexe, défiant la campagne de bombardement de l’OTAN.

Il est impossible de savoir qui les a tués, mais leur découverte évoque le spectre du massacre de non-combattants, de détenus et de blessés. (Associated Press, Libya: Bodies Raise Specter Of Mass Killings In Tripoli, Hunffington Post, 25 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)

Dans une incohérence totale, on minimise le crime et l’on tente clairement de semer le doute sur ses auteurs. Les cadavres n’ont pas du tout l’air de « faire une sieste » comme le suggère l’article. Par ailleurs, si, « selon toute probabilité », ce sont des partisans de Kadhafi, comment peut-il être « impossible de savoir qui les a tués »? Le simple bon sens voudrait que « selon toute probabilité », ce soit les opposants de Kadhafi. Enfin, ces images, loin d’« évoque[r] le spectre [d’un] massacre », semblent plutôt en être la preuve.

Sur TF1, on a pris soin de dire que de telles atrocités étaient commises d’un côté comme de l’autre.

Seules quelques poches de résistances subsistent mais actes de torture et violences se multiplient dans les deux camps. (Libye : les rebelles progressent, Kadhafi en Algérie?, TF1, 27 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)

Dans cet article, on montre des cadavres ensanglantés. La photo accompagne une déclaration du chef du Conseil national de transition (CNT), le contre-gouvernement libyen :


Le conflit en Libye a fait «plus de 20 000 morts» depuis le début mi-février de l'insurrection contre le régime de Mouammar Kadhafi, a déclaré jeudi Moustapha Abdeljalil, chef du Conseil national de transition (CNT), l'organe politique de la rébellion. (Agence France-Presse, Le conflit en Libye aurait fait « plus de 20 000 morts », Cyberpresse, 25 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)

Le langage utilisé ne démontre aucune prudence à l’égard de cette affirmation : le chef politique des rebelles a déclaré que le conflit a fait plus de 20 000 morts. Il aurait été plus juste de dire que selon lui, le conflit a fait 20 000 morts. D’où viennent ces chiffres? On ne nous le dit pas.

En outre, l’angle de l’article porte à croire que les forces de Kadhafi en sont responsables :

Interrogé sur la possible présence d'armes chimiques dans le pays, il a assuré ne rien craindre d'elles: « en tant qu'ancien membre du régime, je sais bien que ces armes sont périmées », a-t-il dit. (Ibid.)

Les déclarations du régime libyen, en revanche, font à peine l’objet d’une couverture médiatique et lorsqu’elles sont mentionnées, elles servent davantage à discréditer le régime.

[Les gens du régime] étaient totalement dans le déni. Le porte-parole du gouvernement et ministre des communications Moussa Ibrahim […] reprochait aux rebelles et surtout à l’OTAN 1300 morts disait-il, à Tripoli, de sorte que les hôpitaux ne pouvaient pas fournir […] Ibrahim disait « ils sont en train de détruire notre belle ville paisible […et] demandait à l’OTAN d’arrêter les bombardements afin que les deux partis, rebelles et gouvernement, puissent négocier, ce qui n’est vraiment pas réaliste […] (Marc Laurendeau, C’est bien meilleur le matin, Radio-Canada, 22 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)

Selon cette analyse, la diplomatie n’est pas réaliste. Demander à l’OTAN de cesser des bombardements intensifs parce que les hôpitaux sont bondés n’est pas réaliste.

Selon son communiqué du 24 août, l’OTAN avait fait 20 121 sorties aériennes et 7 587 missions de frappes depuis le début de l’opération « Unified Protector » en Libye. En date du 28 septembre, un mois plus tard, le nombre de sorties se chiffrait à 24 140 et celui des sorties de frappes à 9010, soit 4019 sorties et 1423 sorties de frappe en un mois. Aucun chiffre sur les victimes de ces frappes, aucune image des dégâts dans les médias.

Les médias dominants occidentaux sont partiaux, désinforment et censurent. En ne montrant pas l'ampleur des massacres commis par les forces de l'OTAN et les rebelles, en  leur donnant le beau rôle dans cette guerre meurtrière et dévastatrice, les médias font de la propagande de guerre.


Julie Lévesque est journaliste et chercheure au Centre de recherche sur la Mondialisation.