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Le Plan Nord:
une violation des droits autochtones
Le Forum « Ne perdons pas le Nord! »:
un contrepoids au Plan Nord
du gouvernement Charest
par Julie Lévesque
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Le 3 mai 2012
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Le Forum Plan Nord 2012 « Ne perdons pas le Nord! » qui prend fin aujourd'hui à Québec se veut le contrepoids au Plan Nord du gouvernement Charest.
Après une journée de présentations et de discussions souvent
émouvantes, le constat des participants est accablant : le développement
du Plan Nord envisagé sous un angle strictement économique, fait preuve
d'un manque total de planification et ignore totalement les enjeux
sociaux et environnementaux. De plus, même l'aspect financier soulève
une multitude de questions, les données étant subjectives et fondées sur
des prévisions à long terme incertaines.
![]() Les participants du forum, en grande partie issus des communautés touchées par le Plan Nord, ne sont visiblement pas prêts à accepter les coûts sociaux et environnementaux rattachés à ce projet, du moins, pas dans sa version actuelle.
Les historiens, les
environnementalistes, les communautés autochtones et même les
économistes se montrent méfiants à l'endroit des bénéfices que le
gouvernement fait miroiter. Ils prennent pour exemple les premiers
« Plans Nord », lesquels ont laissé des cicatrices profondes, surtout
chez les peuples des Premières nations.
L'anthropologue,
animateur et écrivain Serge Bouchard a rappelé, dans une critique amère,
les conséquences désastreuses des autres Plans Nord, à commencer par
celui du curé Labelle dans la forêt Laurentienne il y a 145 ans. « Le
bois était la richesse de l'heure. Il fallait couper du bois. Quel était
ce modèle de Plan Nord? La forêt aux étrangers, les indiens exilés dans
des réserves et les emplois au Québécois. Quel genre d'emploi?
Bûcheron. Le genre d'emploi qui ne nécessite aucune éducation. »
Et que dire du Plan Nord
des années 1950 de Duplessis, qui a vu naître les villes de
Chibougameau et Schefferville, où, une fois les ressources épuisées, les
compagnies minières ont pratiquement tout détruit, des habitations au
centre récréatif, afin de ne pas avoir à payer les taxes demandés par
l'État, laissant ainsi en souvenir aux communautés qu'elles avaient
exploitées, des champs de ruines et des cratères hideux.
Bref, dure réalité que
ce modèle de développement qui se résume par le mépris et la
désertification. Or, cette attitude est toujours présente dans ce
nouveau Plan Nord comme l'ont rappelé plusieurs conférenciers. Le
gouvernement du Québec ne respecte ni les traités internationaux sur les
droits ancestraux des peuples autochtones, ni les traités et ententes
bilatérales signées avec les Premières nations.
Selon le droit
international, les droits des peuples aborigènes concernent non
seulement les territoires mais également leurs ressources. De plus les
États ont l'obligation de concerter les autochtones de manière
impartiale et équitable, ce qui n'est pas le cas actuellement, le
gouvernement du Québec se montrant plutôt méprisant envers les
autochtones, selon la plupart d'entre eux.
Malgré tout, les
Premières nations et les Inuits sont divisées sur la question du Plan
Nord, explique Ghislain Picard, chef régional de l'Assemblée des
Premières nations du Québec et du Labrador. Cependant tous s'entendent
pour dire que « les perspectives économiques et sociales ne sont pas au
rendez-vous ». « À qui profite le Plan Nord? À la prochaine campagne
libérale » affirme M. Picard.
Si ce nouveau Klondike
plaît aux investisseurs privés, c'est forcément en raison de l'approche
gouvernementale axée uniquement sur les profits et les avantages
économiques. Jacques Fortin, professeur en sciences comptables et
directeur Développement Durable du HEC prêche la « patience et la
prudence » et met en garde contre les « périmètres confus » du Plan
Nord : « Les objectifs sont louables, mais le plan financier n'est pas
documenté. Tout est inclus et le résultat est difficile à saisir. »
Sur le plan des
retombées économiques, elles ne seraient pas aussi importantes que le
gouvernement veut nous faire croire, puisque le calcul des redevances
est basé sur le profit des compagnies minières fait remarquer M. Fortin.
Cela laisse une grande marge de manœuvre aux compagnies « qui décident
des chiffres » sur lesquels seront basés les calculs. « Le Plan Nord se
traduit par une ponction des ressources, laquelle signifie toujours une
concentration de la richesse » insiste-t-il.
« Il faut éviter de
précipiter les choses et faire une analyse poussée. Les impacts sociaux
et environnementaux se mesurent en chiffres. Il faut assurer le juste
partage des richesses, protéger les styles de vie et éviter les
divisions sociales, en plus d'imposer une restauration intégrale des
lieux », conclut M. Fortin en déclarant que le boom minier est rentable
car aucune restauration des lieux n'est imposée.
Et les communautés du
Plan Nord? Le premier ministre a beau vanter la création d'emplois
engendrée par son plan, aucune planification n'a été prévue pour
subvenir aux besoins de ces travailleurs et des communautés touchées par
ce développement industriel. Les acteurs sociaux qui sont sur le
terrain, sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord lancent un véritable cri
d'alarme.
Les Anishnabe souffrent
d'un manque chronique d'espace et d'infrastructures, de
sous-scolarisation, en plus de problèmes d'alcoolisme et de violence,
déplore Salomée Mckenzie, chef des Anishnabe du Lac Simon. Le
développement prévu dans ces communautés, s'il ne s'accompagne pas de
mesures pour remédier aux problèmes existants, ne fera que les
exacerber. Par ailleurs, les Anishnabe désirent faire partie intégrante
du développement de leurs communautés, participer au projet non pas le
subir, mais cela doit se faire dans le respect de la nature, si chère
aux autochtones, dans le respect de la Terre mère, des sites sacrés, des
cimetières de leurs ancêtres, etc.
Les régions qui
subissent déjà les conséquences socio-économiques du développement
s'inscrivant dans le cadre du Plan Nord, mais ignorées par celui-ci,
font face à toute une série de problèmes qui s'accumulent pour former un
cercle vicieux : des crises du logement qui persistent et engendrent
des problèmes de recrutement; les travailleurs migrants qui ne
développent pas de sentiment d'appartenance à leur « communauté de
travail », une attitude ayant pour résultat un effritement social,
donnant entre autres naissance au vandalisme et à l'augmentation de la
prostitution.
Le Plan Nord a même pour
effet pervers de favoriser le décrochage scolaire et la toxicomanie
fait remarquer Isabelle Gingras de l'Association canadienne des médecins
pour l'environnement de Sept-Îles. Dans cette communauté où les jeunes
sont encouragés à quitter l'école pour s'enrichir en travaillant dans
les mines et devenir de bons consommateurs, l'effet pervers alliant la
crise du logement, les problèmes de recrutement et le décrochage
scolaire se fait bien sentir.
Toutefois, les grands
oubliés du Plan Nord demeurent les autochtones et les femmes, un terme
qui ne se retrouve qu'une fois dans le document gouvernemental. Pour
Michèle Audette, présidente de Femmes autochtones du Québec, le
phénomène des travailleurs migrants, le « fly-in fly out », amène son
lot de problèmes : prostitution, extrême pauvreté et marginalisation des
femmes autochtones, un phénomène qu'elle n'hésite pas appeler
« colonisation » . « Le Plan Nord doit constituer un projet de société
où les autochtones sont égaux, libres et souverains », conclut-elle.
Le chef des Innu Réal
Mckenzie signale pour sa part que son peuple se battra corps et âme
contre une exploitation sauvage de son territoire.
Enfin, au terme de cette
première journée où de nombreuses inquiétudes ont été partagées entre
les populations autochtones et allochtones, il ressort une détermination
solidaire à mettre un frein à cette ruée vers le Nord au profit des
entreprises privées et au détriment de tous les habitants du Québec.
Julie LévesqueJournaliste | |
