Roberto Abraham Scaruffi

Thursday, 4 April 2013


Agent Orange, chronique 7 : la Shorange

Global Research, avril 01, 2013


Le 1er mars 2011, des Étasuniens appellent au soutien des victimes vietnamiennes de l’Agent Orange. « Il est temps de prendre part aux efforts humanitaires pour aider les Vietnamiens touchés par l’Agent Orange », a déclaré Bob Edgar, ex-représentant de la Chambre basse des États-Unis, président de l’organisation américaine à but non lucratif Common Cause.
Lors d’une discussion organisée le 25 février dans l’Université de San Francisco, Californie, Bob Edgar a annoncé qu’il avait présenté au Congrès américain un projet de loi afin d’aider les vétérans américains touchés par l’Agent Orange et qu’il s’intéressait à ce problème au Viêt Nam. Au cours de ce mois de mars, il emmènera des Étasuniens au Viêt Nam “pour qu’ils puissent voir de leurs propres yeux ce pays en plein renouveau“.
Le journal The Old Gold & Black de l’Université Wake Forest, en Caroline du Nord, a publié un article disant : “Il est important que le monde comprenne les effets de l’Agent Orange et s’unisse aux côtés du peuple vietnamien dans la lutte contre ce produit chimique“. L’auteur de cet article intitulé Les effets de l’Agent Orange persistent au Vietnam estime que “35 années plus tard, les effets de ce produit chimique sont encore visibles au Vietnam” et que “des enfants naissent encore aujourd’hui avec des malformations“.
Selon le journal, des organisations américaines comme la Fondation Ford, Common Cause, Children of Vietnam, et d’autres, ont reconnu les effets délétères de l’Agent Orange dans la communauté vietnamienne. Les membres de ces organisations participent à Initiative spéciale sur l’Agent Orange lancée par la Fondation Ford afin de mobiliser 300 millions de dollars pendant dix ans pour aider le Viêt Nam à nettoyer les “points chauds” contaminés par l’Agent Orange et fournir des services de santé aux familles et aux enfants touchés. « Les 24 millions de dollars promis par l’administration américaine pour nettoyer ces “points chauds” seront insuffisants pour éliminer complètement les conséquences des actions des États-Unis au Viêt Nam il y a des décennies », poursuit la lucidité de l’auteur, affirmant qu’une action mondiale était nécessaire. Dans le cadre de l’Initiative spéciale, de nombreuses activités sur les effets de l’Agent Orange au Viêt Nam ont été organisées aux États-Unis ces deux dernières semaines, dont une table ronde à l’Université de Wake Forest tenue le 18 février dernier, un colloque à l’Université de Caroline du Nord le 16, et le débat organisé le 25 à l’Université de San Francisco.
Lors de ces événements, Charles Bailey, directeur de l’Initiative spéciale de la Fondation Ford sur l’Agent Orange, a affirmé qu’ “aider le Vietnam à régler les conséquences de l’agent orange est une question humanitaire“, et que “nous pouvons faire quelque chose“. On peut penser qu’« humanitaire » est employé au sens de « solidarité », car il s’agit plutôt d’une affaire d’État à État, et non pas « humanitaire » au sens ou on l’entend habituellement.

Capture d’écran du film “AGENT ORANGE – Une bombe à retardement” réalisé par Thuy-tien Ho & Laurent Lindebrings, produit par ORCHIDEES. Victime squelettique sur son lit de bois, atteinte de toutes les pathologies terrifiantes que l’on peut imaginer. Sa mère très âgée est exténuée, elle s’occupe de son fils jour et nuit, jusqu’au dernier souffle. La maison en dur est typique, des cales sous les pieds des meubles rongés par l’humidité, une simple grille à la fenêtre car il fait chaud toute l’année, le chat ronronne, le vélo est rentré au cas où le voleur passerait et, sur le côté gauche, le bac de ciment bleu délavé récupère l’eau de pluie pour la toilette et la cuisine.

Début mars, des Députés allemands apportent leur soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange. Une délégation parlementaire allemande a tenu une séance de travail avec les responsables de l’Association des victimes de l’Agent Orange/dioxine de Ho Chi Minh-Ville. La vice-président de cette association (VAVA), président de l’antenne d’Ho Chi Minh-Ville, le professeur Nguyen Thi Ngoc Phuong (obstétricienne, ancienne directrice de l’hôpital-maternité de Tu Du où se trouve le Village de la paix accueillant des victimes de l’Agent Orange), a rappelé qu’ « entre 1961 à 1971, l’Armée américaine a répandu 84 millions de litres de produits chimiques toxiques ( possiblement 4 fois plus, selon moi), dont le principal était l’Agent Orange contenant près de 400 kg de dioxine pure, une des molécules les plus toxique que l’humanité connaisse à ce jour (il est toujours bon d’évoquer l’étude de l’Université Columbia de New York, selon laquelle 80g de ce composé introduit dans le système de distribution d’eau d’une ville tueraient 8 millions de ses habitants). Alors que la guerre est passée et que les blessures se sont refermées avec le temps, le corps et l’esprit de millions de Vietnamiens en subissent encore les conséquences (ici aussi il est bon de rappeler que jusqu’à 4,8 millions de Vietnamiens y ont été exposés, selon le rapport US dit « Stellman », sans compter les victimes nées de parents contaminés depuis plusieurs générations, ni celles empoisonnées par la chaîne alimentaire jusqu’à ce jour, sans que l’on sache quand cela s’arrêtera. À cette Shorange, on doit ajouter les victimes étasuniennes, sud-coréennes, australiennes, new-zélandaises, canadiennes, ainsi que celles dispersées dans tous les endroits du monde où a été expérimenté, mis au point, et stocké l’Agent Orange, et ils sont une centaine). Le Viêt Nam compte actuellement environ 3 millions de victimes à divers degrés », signale la merveilleuse Mme Nguyen Thi Ngoc Phuong, avant d’exposer la lutte pour la justice menée par les victimes de l’Agent Orange, et parler de leur vie à Ho Chi Minh-Ville et dans le reste du pays. Les parlementaires allemands ont fait part de leur profonde sympathie pour le peuple vietnamien, affirmant qu’ « ils se feraient entendre sur la scène internationale dans ce combat pour la justice à rendre à ces victimes. »
Le 10 mars, le vice-président de l’Assemblée nationale vietnamienne, Nguyen Duc Kien, a reçu jeudi à Hanoi une délégation interreligieuse des États-Unis, Common Cause, conduite par Mme Connie Morella, ex-représentante de l’État du Maryland.
Saluant cette visite, ainsi que celle précédente de son président, Bob Edgar, dans le cadre d’activités destinées à promouvoir l’amélioration des connaissances sur l’Agent Orange au Viêt Nam, il s’est réjoui des importantes avancées des relations entre les deux pays, politiques, économiques, commerciales, ou encore dans la coopération humanitaire…
« Point plus notable encore, le Viêt Nam et les États-Unis ont coopéré par diverses voies afin de résoudre ensemble le problème de l’Agent Orange », dit-il (la courtoisie diplomatique peut parfois nous faire avaler le chapeau). Nguyen Duc Kien a déclaré « apprécier vivement l’octroi américain d’aides publiques au développement de son pays lors de ces quatre dernières années, avant d’affirmer que malgré la fin de la guerre il y a 35 ans déjà, nombre de Vietnamiens, tout comme l’environnement du pays, subissent encore les effets particulièrement toxiques de ce « défoliant ». Ce sont près de 4,8 millions de personnes qui ont été exposées à la dioxine, et dont 3 millions en sont les victimes à divers degrés aujourd’hui, sans compter des milliers (millions ?) d’hectares de terrain contaminés qui restent à traiter. Le Viêt Nam a mobilisé les ressources de toute la société afin de partager et d’aider matériellement et spirituellement ses victimes de l’Agent Orange, lesquelles sont les plus défavorisées de tous les handicapés du pays. » Il s’est félicité « de l’activité de la Fondation Ford et du Groupe de dialogue vietnamo-étasunien sur l’Agent Orange comme de l’attention de l’organisation Common Cause sur ces points, et notamment du plan d’action de dix ans évoqué par le Groupe de dialogue en vue d’intervenir sur le problème de l’Agent Orange. » (tandis que le Président de VAVA, Nguyen Van Rinh, parle de plus de mille milliards nécessaires... et que pas un cent n’est encore arrivé).
Nguyen Duc Kien a souhaité qu’après son retour aux États-Unis, la délégation américaine contribue à davantage informer ses concitoyens et les milieux politiques étasuniens des conséquences de ce « défoliant » afin d’adopter une conduite plus réaliste et humaine, contribuant au partage mais aussi au règlement de ce problème. Quant à Mme Connie Morelle, elle annonça que sa délégation américaine, dont les membres sont issus de diverses couches sociales, civile comme professionnelle, s’engageait à instituer de bonnes relations entre les deux pays, affirmant que le règlement des conséquences de l’Agent Orange est une tâche très importante devant être menée jusqu’à son dernier terme. Lors de cette rencontre, de nombreux délégués étasuniens ont souligné que cette visite était importante pour saisir pleinement les données d’un règlement définitif du problème de l’Agent Orange.
Décidément, les déclarations de bonnes intentions fleurissent chez les pseudo-décideurs, à l’image des bonnes volontés qui n’ont aucun moyen ou si peu.
Le vendredi 11 mars, Radio-Canada annonce que l’Ontario forme un comité d’enquête sur l’Agent Orange (cf. chronique 6). Le gouvernement ontarien met sur pied le premier comité d’enquête indépendant du pays sur l’utilisation de l’Agent Orange et ses répercussions sur la santé. L’expert en toxicologie, Leonard Ritter, dirigera ce comité. Professeur à l’Université de Guelph et directeur général du Réseau canadien des centres de toxicologie, le Dr Ritter avait aussi collaboré à l’enquête du gouvernement fédéral sur l’utilisation de l’Agent Orange à la base militaire de Gagetown, au Nouveau-Brunswick, en 2007.
Toutefois le député néo-démocrate de Timmins-Baie James, Gilles Bisson, doute de l’indépendance réelle du comité. Il souligne que c’est le même expert qui avait présidé l’enquête à Gagetown (ministère de la Défense). Le Nouveau Parti Démocrate (NPD) préférerait une enquête de l’ombudsman provincial.
Un produit toxique utilisé pendant 30 ans. Le gouvernement ontarien admet que l’«herbicide », utilisé abondamment par l’armée américaine comme « défoliant » au Viêt Nam, a aussi servi au désherbage dans la province. Des équipes s’en servaient durant les années 50, 60, 70 et possiblement une partie des années 80, le long d’autoroutes et de lignes de transport d’électricité.
Les autorités fédérales ont banni le produit en 1985, après avoir découvert que son utilisation pouvait causer des problèmes de peau, de foie et certains types de cancer. Plusieurs employés gouvernementaux de l’Ontario, qui l’ont épandu dans le passé, affirment souffrir maintenant de différents problèmes de santé. La ligne téléphonique d’information lancée par la province à la suite de ces révélations a été inondée d’appels au cours des dernières semaines.
La mission du nouveau comité d’enquête est de déterminer l’ampleur de l’utilisation de l’Agent Orange par les différents ministères et agences de l’Ontario. Le groupe d’experts se penchera aussi sur les effets de cette utilisation sur la santé des travailleurs et du public. Son rapport doit être rendu public d’ici juin 2012. L’Ontario incite, par ailleurs, Ottawa et les autres provinces à emboîter le pas. Selon le gouvernement ontarien, l’Agent Orange a aussi été utilisé en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan.
Le 25 mars, Vietnamplus publie un article de l’Agence vietnamienne d’information (AVI) : « L’Armée populaire du Viêt Nam a directement participé et coopéré à la décontamination internationale de sites infectés par des produits chimiques toxiques lors de la guerre », disent des officiers du ministère de la Défense, lors d’une rencontre vendredi à Hanoi avec le corps des attachés militaires internationaux au Viêt Nam.
« Ces dernières années, le ministère de la Défense s’est vu confier par le gouvernement la tâche de diriger la mise en oeuvre de la décontamination de sites infectés par l’Agent,Orange largué par les GI’s pendant la guerre. Il a activement collaboré avec les services civils, les États-Unis, et plusieurs organisations internationales », ajoutent-ils.
« Par ailleurs, le ministère de la Défense a achevé pour l’essentiel l’évaluation du niveau de contamination des aéroports de Bien Hoa, Da Nang et Phu Cat, et construit des ouvrages pour limiter la propagation du poison dans l’environnement afin de minimiser ses impacts sur l’écosystème et l’homme. Plus particulièrement, 100.000 m² sévèrement pollués à l’aéroport de Bien Hoa ont été décontaminés. »
« Malgré les efforts, les résultats n’ont pas encore répondu à la demande et font encore face à beaucoup de difficultés et de défis. Afin d’achever cette décontamination pour assainir l’environnement au service du développement socioéconomique, la mobilisation des ressources, l’élargissement de la coopération, le partage d’informations avec les spécialistes et organisations du pays et de l’étranger, revêtent une signification importante dans toutes les activités du ministère de la Défense. »
Le responsable militaire de l’Afrique du Sud, chef du corps des attachés militaires étrangers au Viêt Nam, a reconnu les efforts du ministère de la Défense dans le règlement des conséquences laissées par l’Agent Orange dans les régions gravement contaminées.
André Bouny