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La Belgique part en guerre sans gouvernement
par Pascal Sacré
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Le 26 mars 2011
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© belga
Le ministre de la Défense, Pieter De Cre Nous, Belges, partageons avec l’Irak le triste record du nombre de jours en crise, sans gouvernement.
« Après
249 jours de crise en Irak en 2010, les sunnites, les chiites et les
Kurdes se sont accordés sur le partage du pouvoir. Mais 40 jours
supplémentaires ont été nécessaires pour former une coalition à
Bagdad. » [1]
En
Belgique, la crise est toujours en cours et si les sunnites, les
chiites et les Kurdes d’Irak ont su trouvé un terrain d’entente après
des années de guerre et d’embargo, les politiciens flamands et wallons,
non, mais comme le précise Yves Leterme [2], premier ministre sortant, la vie du Belge moyen n’en est pas complètement transformée.
Finalement, il ne le sent pas trop, le Belge moyen, que son pays n’a pas de gouvernement.
Il ne sent pas trop non plus sa participation à la nouvelle boucherie organisée par l’Occident « libérateur ».
Le Palestinien ne l’intéresse pas, mais le Libyen oui. Enfin, quel Libyen ?
Pour
nos journalistes en phase avec nos politiciens « humanitaires »,
toujours friands de ce genre de formule, je cite : « La Belgique » est
« unanime pour intervenir en Lybie » [3].
Belgique unanime, moins moi.
C’est l’enthousiasme parlementaire pour aller faire la guerre en Lybie.
Bien
entendu, chansonnette habituelle depuis quelques années, la motivation
humanitaire, l’auto-persuasion de faire la guerre pour amener la paix,
donne des ailes à nos gouvernants.
C’est
une petite berceuse que nous nous chantons en Occident, au moins depuis
1991 (première guerre du Golfe), plus longtemps pour les Etats-uniens.
Nous
y allons tous de bonnes et franches tapes dans nos dos qui sous le coup
de cette formidable opportunité, nous fait nous redresser fièrement et
oublier nos différences communautaires.
Nos journalistes, et nos politiciens ne sont pas honnêtes avec nous.
Que
ce soit par ignorance (naïveté volontaire), incompétence ou duplicité,
comme dans le dossier de la vaccination contre le H1N1 [4], nos
gouvernants, et nos organes de la presse officielle, ne nous disent pas
tout.
Par exemple, nous dit-on que,
« Dans
les empennages des missiles Tomahawk se trouvent des barres d’uranium
appauvri de 300 kilos. Si l’on pense qu’un projectile anti-char
construit avec du métal d’uranium appauvri en contient environ 30 gr.
seulement, on peut imaginer la quantité de poussières d’uranium qui se
répand dans l’atmosphère dans les zones d’impact… Là-dessus le silence
est total. » [5-6]
La
pluie envoyée par l’Occident, dont notre petit pays s’est rendu
complice avec enthousiasme, cette pluie sur la Lybie sera mortelle et
sans pitié, pour tous les Libyens, pas seulement Kadhafi.
L’interventionniste
Louis Michel, député européen, très enthousiaste lui aussi, ne nous
parle pas de la pluie d’uranium appauvri qui attend nos amis Libyens.
Aucun
parlementaire, et plus grave encore, aucun journaliste ne soulève ces
questions qui certes, donneraient un coup fatal à notre bienveillance
humanitaire.
L’Irak,
l’Afghanistan et tous les endroits que nous avons voulu libérer à coups
de missiles, de F-16, de plomb durci, d’uranium appauvri et de bombes à
fragmentation, sont la preuve que nos actions n’amènent que plus de
chaos, plus de détresse et plus de morts innocentes.
Plus de rage, de rancœur, et de haine vis-à-vis de notre interventionnisme que nous nous plaisons à voir comme de la bonté.
Et nous continuons.
Quel sera le coût pour la société belge de toutes ces opérations ?
A titre de comparaison, la guerre en Afghanistan coûte 1,3 million d’euros par jour au contribuable français [7].
Tout
cela pour qu’en Afghanistan, Hamid Karzai, l’homme placé par les
puissances occidentales pour remplacer les Talibans, soit considéré par
la presse française comme pire que les Talibans [8-9], sauf pour les
oléoducs et le trafic d’opium.
Tout
cela, ces guerres, à un moment où nos gouvernants nous promettent des
plans d’austérité comprenant le recul de l’âge de la retraite, le
rognage des services publics et la réduction de nos salaires, sans
compter la destruction de nos droits et libertés.
Où
se trouvent, dans les journaux écrits et parlés, dans les débats
télévisés et radiophoniques, des politiciens, des journalistes, des
experts honnêtes et courageux pour nous informer de cet aspect des
choses, comme cela devrait être le cas dans une démocratie réelle, si
fière de l’être ?
Nous le savons tous, et pourtant nous nous laissons avoir à chaque fois.
La
vérité n’est jamais si simple, les bons d’un côté, les méchants, les
affreux de l’autre, cela n’existe pas, sinon dans les séries
hollywoodiennes.
Parmi
l’opposition à Kadhafi, est-on vraiment sûr qu’aucun extrémiste
islamiste ne prendra le pouvoir, encouragé par le chaos généralisé créé
par nos bombardements à l’uranium ?
Pour monsieur Louis Michel, éminent politicien belge actuellement à l’Europe,
« Cette révolte démocratique libyenne n’a rien à voir avec le fondamentalisme. » [10]
Selon d’autres sources,
Des
700 jihadistes, dont l’entrée en Irak a été « recensée » (par
nationalité) entre 2006 et 2007, 19% venaient de Libye, en particulier
de Derna (60%) et Bengazi (24%) qui revendiquent de nombreux « Afghans
veterans » dans leurs rangs.
Derna
est la première source de jihadistes en Irak, 52 contre 51 venant de
Riad (mais la ville de Cyrénaïque a 80 mille habitants, et la capitale
de l’Arabie saoudite en a 4 millions), suivies par La Mecque et par
Bengazi. Même parmi les kamikazes recensés comme « martyrs », les
Libyens sont les premiers, 85% contre 56 % pour les autres.
Même
scénario décrit par Wikileaks : l’Est libyen comme terrain fertile pour
le radicalisme islamique. Et Vincent Cannistraro, ancien chef de la
cellule CIA en Libye, affirme que parmi les rebelles il y a beaucoup d’«
extrémistes islamiques capables de créer des problèmes » et que les «
probabilités [sont] élevées que les individus les plus dangereux
puissent avoir une influence dans le cas où Kadhafi devrait tomber ».
[11]
Nos parlementaires et nos journalistes devraient mieux s’informer ou être plus honnêtes et nous informer plus justement.
Beaucoup de civils Libyens mourront, du fait de notre « humanité » invasive et sélective.
Un grand nombre d’entre eux perdront leurs maisons, leurs villages.
Les femmes et les faibles n’y gagneront pas, contrairement à ce qu’on nous dit.
Human Right Watch l’a montré en Irak [12] et d’autres en Afghanistan.
Nous,
belges, ne devrions ressentir aucune fierté à participer à de telles
opérations dévastatrices aux conséquences terribles pour ceux-là même
que nous croyons aider, opérations maquillées en geste humanitaire afin
de pouvoir continuer à nous sentir bien.
Demandons des comptes à notre gouvernement.
Mais j’oubliais, nous n’en avons pas.
[1] Crise : la Belgique bat le record irakien
[2] "On n'est pas si mal sans gouvernement",
[3] La Belgique unanime pour intervenir en Libye
[4] H1N1 : voici le contrat entre GSK et le gouvernement belge
[5] Pluie de missiles Tomahawk en Libye, Kadhafi menace
[6] Des bombes à l’uranium appauvri pleuvent sur la population libyenne
Pluie de missiles Tomahawk en Libye
[7] Le coût de la guerre en Afghanistan : 1,3 million d'euros par jour pour les contribuables français
[8] Femmes afghanes: Karzai pire que les talibans ?
[9] Afghanistan : Pillay dénonce une loi restreignant les droits des femmes
[10] Louis Michel : " Il aurait fallu intervenir plus vite en Libye "
[11] Et si les gentils n’étaient pas si gentils ? Par Maurizio Matteuzzi
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