Roberto Abraham Scaruffi

Friday, 3 February 2012







Que font les États-Unis pour aider la contestation en Russie ?

Le 2 fevrier 2012

 Que font les Etats-Unis ?
Bien que Barack Obama ait amélioré les relations avec la Russie, qui étaient au plus mal du temps de George W. Bush et de la guerre en Irak, la « Maison Blanche », les Démocrates et les Républicains américains ne négligent pas le sort des démocrates en Russie. Par la voix de Mme Hilary Clinton, les Etats-Unis ont vivement critiqué les fraudes aux élections législatives du 4 décembre (vérifiées par l’ONG « Golos » que finance Washington) et il est probable que cette dénonciation soit répétée lors du scrutin présidentiel du 4 mars. Dès lors, la légitimité de l’ancien-futur président Vladimir Poutine, largement contestée à l’intérieur, sera mise en cause par les Etats-Unis.  Même largement réélu, Poutine se retrouverait moralement affaibli.

Sympathies pro-américaines, aide financière de Washington
Les Américains sont assurés des sympathies d’une partie des contestataires, y compris du leader des réseaux sociaux Alexei Navalnyi, formé aux Etats-Unis.  Boris Nemtsov et les libéraux critiquent le projet « eurasien » de Poutine, son « anti-américanisme » et son appui aux « dictatures » en Asie centrale, au Proche-Orient et en Amérique latine, son soutien aux « terroristes » palestiniens et islamistes (le Hamas, le Hezbollah) bref une politique qualifiée de « néosoviétique ».  Nemtsov dénonce le « péril chinois » et les préférences supposées de Poutine pour une alliance avec la Chine. L’ancien ministre eltsinien est partisan d’un nouvel arrimage de la Russie au monde euro-atlantique et notamment aux Etats-Unis. Mais ceux-ci vont-ils pour autant  réellement s’engager, au delà des encouragements de Mme Clinton,  dans cette nouvelle « bataille pour la Démocratie » et de quelques soutiens financiers ?
Aux opposants russes en 2012, le Département d’Etat US a promis plus de neuf millions de dollars. La National Endowment for Democracy (NED) finance déjà régulièrement et de longue date nombre d’ONG « de la société civile ». D’autres fondations sont à l’œuvre.
L’évolution de la contestation russe dépend donc en partie de ce que fera Washington, intéressé à une déstabilisation d’un Poutine trop « souverainiste », qui a entravé la pénétration des capitaux américains dans l’industrie pétrolière russe et qui projette une « Union euro-asiatique » faisant contrepoids à l’OTAN et qui reconstituerait une grande puissance dans la plus grande partie du territoire de l’ex-URSS. Le « danger poutinien » (eurasien) est donc bien réel, y compris pour l’Union Europénne déjà trop dépendante du gaz russe.  La diplomatie russe fait d’ailleurs obstruction, aux Nations-Unies, aux initiatives occidentales visant à « promouvoir la démocratie » en Libye, en Syrie, ou à empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. Contrairement à ce qui se passait au temps du président Eltsine (1991-1999) la Russie de Vladimir Poutine se permet, comme au temps de l’URSS, de contester la politique des Etats-Unis et de chercher des alliances « anti-impérialistes » avec des régimes autoritaires tels que le Venezuela d’Hugo Chavez. Il faudrait donc que cesse cette « arrogance », estiment les adversaires de la ligne poutiniste.

L’espoir : les failles du régime et de l’établishment
L’espoir de ceux-ci, chez les libéraux russes et leurs conseillers occidentaux, est avant tout fondé sur les fissures qui apparaissent au sein de l’établishment russe. Des personnages-clé de l’ère Poutine, tels l’ancien premier ministre Mikhaïl Kassianov, l’ancien conseiller « libertarien » Andrei Illarionov ou l’ancien ministre des finances Alexei Koudrine ont  révélé les profondes dissensions parmi ceux qui avaient pour tâche de mener à bien la libéralisation économique du pays. Or, l’adhésion de la Russie à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ne peut que donner raison à leur courant de pensée, étranger à tout retour à l’étatisme. Le « cap sur les nouvelles technologies » est en charge de l’ancien grand organisateur des privatisations des années 90, Anatoli Tchoubaïs, patron des nanotechnologies, qui milite pour une coopération étroite avec les Etats-Unis et Israël. Une frange importante des milieux d’affaires – ces « oligarques » que Poutine croit avoir mis au pas – réclament la libération de leur pair, Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien patron pétrolier de Youkos, emprisonné depuis 2003. Celui-ci n’était pas seulement un adversaire politique potentiel ou un « fraudeur du fisc » comme il y en avait tant d’autres, il était au cœur d’une négociation visant à faire entrer massivement le capital américain dans les pétroles de Sibérie. Cet apport en capitaux, loin d’être vu comme « un danger pour l’indépendance nationale » par les milieux d’affaires y est au contraire ardemment désiré. La « faim de capitaux » n’est-elle pas une question centrale pour l’avenir de l’économie russe ? La maîtrise de leurs mouvements, de la rente pétro-gazière, n’est-elle pas le principal enjeu de pouvoir depuis la chute de l’URSS ?
Or, Vladimir Poutine, il ne faut pas l’oublier, est issu de ce monde, celui des années et du régime Eltsine, de l’oligarchie qui l’a portée au pouvoir. Aurait-il réussi depuis lors à se constituer une base alternative de milieux d’affaires et de « siloviki » (militaires et policiers) qui auraient pour la Russie un autre projet que celui que les libéraux, tant au pouvoir que dans les oppositions, n’ont cessé de vouloir mettre en œuvre ?
C’est la grande question qui reste encore sans réponse, ce qui explique l’indétermination, le flou de la politique russe. Contrairement à l’idée reçue, le régime poutinien n’exerce pas une forte « autorité », il n’en donne que l’impression. Il arbitre plus qu’il ne contrôle les intérêts en conflit. D’où sa vulnérabilité. Le président Dmitri Medvedev, s’il n’a été que le « second » du premier ministre Poutine, n’a pas innocemment  joué le rôle du « plus libéral » en paroles. Il faisait écho à des aspirations qui, au sein des élites proches du pouvoir, ne cherchent qu’une occasion pour se faire entendre. Et dont certains espèrent encore « l’oreille de Medvedev ».

L’hyperpuissance n’est plus ce qu’elle était
Les libéraux « de haut en bas » espèrent qu’une pression occidentale, américaine surtout, les aidera à contrer la vague « eurasienne » derrière laquelle se profile « le danger chinois ». Ils jouent cependant risqué, dans la mesure où les appuis extérieurs (et les financements américains aux opposants) donnent également des arguments aux nationalistes.
Contrairement à l’euphorie de 1991, les Américains ne sont plus considérés en Russie comme des philanthropes désintéressés. D’autre part, la puissance des Etats-Unis n’est plus qu’elle fut au moment de sa victoire dans la guerre froide en 1991 et de son érection en unique « hyperpuissance » mondiale. Le discours de Vladimir Poutine sur le « monde multipolaire » correspond à une nouvelle réalité, contredisant la volonté occidentale (et libérale russe) d’unipolarité.
Les jeux ne sont donc  pas encore faits, et les libéraux risquent aussi  d’être déçus, les Etats-Unis n’ayant plus les moyens qui étaient les leurs lorsqu’en 1991, leurs conseillers et le FMI placèrent la Russie sous tutelle, lui enjoignant une « thérapie de choc » désidustrialisatrice, et obtenant de sa nouvelle diplomatie une adhésion ferme aux objectifs du « Nouvel Ordre Mondial ». Depuis lors, il y a eu les différends en ex-Yougoslavie, en Géorgie et en Ukraine, la guerre en Irak, l’enlisement américain dans ce conflit et en Afghanistan, les reculs de l’hégémonie étatsunienne en Amérique latine. Il y a eu, enfin, les désagréments en Russie après le krach de 1998 (qui fut aussi le krach des conseillers d’outre-Atlantique) et l’arrivée au pouvoir d’un Vladimir Poutine moins commode que son prédécesseur. Et peu prévisible.
Confirmation de ce changement de rapport de forces :  Washington a besoin de Poutine dans le règlement des crises en Syrie et en Iran, et pour le transit en Asie centrale des troupes et matériels de l’US Army vers l’Afghanistan.
Washigton pourrait d’ailleurs estimer que Poutine est un « moindre mal » par rapport au communiste Guennadi Ziouganov, au cas où ce dernier passerait au second tour des présidentielles, comme rival de Poutine. C’est peu probable mais  sait-on jamais…

JMC
3 février 2012